L’autoconstruction serait-elle devenue un phénomène de société ?
Bien qu’il n’existe aucune étude précise sur le sujet, force est de constater que les "gros" bricoleurs du dimanche sont de plus en plus nombreux à manier chaque weekend la truelle ou la scie circulaire. Qui n’a pas dans son environnement, un parent, un ami, un voisin ou une connaissance, adepte ponctuel ou permanent de cette activité ?
Mais tout cela est-il nouveau ? Pas vraiment, l’autoconstruction a toujours existé. Et c’est même la pratique naturelle et historique pour construire son habitat. Jusqu’à récemment, les paysans de tous pays construisaient eux-mêmes leur ferme. Et cette pratique fait encore standard aujourd’hui dans cette profession, du moins dans les petites exploitations. Mais c’est le développement de l’urbanisation et son corollaire la spécialisation, qui ont amené progressivement à rendre l’autoconstruction minoritaire. Par le passé, on autoconstruisait par nécessité. Ce qui est nouveau depuis quelques années est que l’on autoconstruit moins par nécessité que pour d’autres raisons que nous allons voir plus loin.
Certes, on trouve encore aujourd’hui beaucoup d’autoconstructeur par nécessité. La rareté du foncier, la pénurie d’artisans, les exigences normatives de plus en plus sévères, l’augmentation des besoins réels ou perçus, amènent à une inflation des prix qui exclut une part de plus en plus importante des accédants au home-sweet-home. Dans ce contexte, une solution possible est l’autoconstruction. Certes, ce n’est pas cela qui fait baisser le prix prohibitif des terrains ou des matériaux mais en fournissant sa propre main d’œuvre, l’autoconstructeur réalise une importante économie qui lui permet de rentrer dans son budget.
La nécessité financière reste donc une motivation importante et principale dans la majorité des cas.
Mais il existe d’autres motivations, moins connues, moins évidentes :
- plaisir de la création :
L’autoconstruction, qui est du Bricolage extrême, peut être assimilée par certains aspects à un loisir comme un autre. C’est une activité que l’on pratique souvent le weekend, comme d’autres jardinent ou font du modélisme. C’est évidemment une activité extrêmement créative. Beaucoup d’autoconstructeurs réalisent les plans de leur maison eux-mêmes. C’est une phase bouillonnante et excitante. Il faut se documenter, être curieux, regarder ce qui se fait, réfléchir à ses besoins, réaliser des maquettes, créer plusieurs projets sur papier, puis finalement faire les plans finaux.
Certains autoconstructeurs ont recours aux services d’un architecte qui les aide dans la conception de leur projet. C’est également une phase de créativité car les bons architectes font en sorte de faire participer activement leur client. Il faut déterminer ses besoins, écouter les conseils de l’architecte, éventuellement apporter ses idées, approuver les plans.
Les étapes suivantes, à savoir la construction, l’achat des matériaux ou la recherche d’artisans, nécessitent également de la créativité. Au fur et à mesure de l’avancement, il faut trouver des solutions, remettre en cause certains choix, faire preuve d’astuces, continuer ces recherches de documentations.
Finalement, la réalisation d’une maison est un projet hyper-créatif nécessitant une intense réflexion. C’est un chef-d’œuvre domestique.
- développement personnel :
Comme on l’a déjà vu, l’autoconstruction est une activité très prenante. Pour la majorité des autoconstructeurs, il s’agit du projet de leur vie. Au niveau de l’individu, l’autoconstruction d’une maison est un projet d’envergure. Ce caractère presque démesuré est aussi un challenge. C’est un défi lancé à soi-même, une épreuve salutaire. En réalisant son projet, on se réalise soit-même. On y met beaucoup de soi, aux niveaux financier, personnel et en investissement temps.
L’autoconstruction est donc une expérience forte et unique. Au bout du compte, on acquière une confiance personnelle, conscient d’avoir réalisé quelque chose qui n’est pas à la portée de tout le monde.
- indépendance :
Avec la croissance de l’immobilier, la pénurie des artisans se fait sentir. Dans ce contexte de déséquilibre entre l’offre et la demande, les prix montent, la qualité des prestations et du service peuvent baisser. Trouver un artisan compétent, sérieux et surtout disponible, pour un prix honnête est un véritable défi. Sans compter que la construction d’une maison requiert l’intervention de plusieurs dizaines d’intervenants.
Certes, lorsque l’on fait construire, ces tâches de recherche et de sélection d’artisans et d’entreprises reviennent à un architecte ou un maître d’oeuvre professionnel. Mais si les prix augmentent, selon les lois admises de l’offre et de la demande, le maitre d’œuvre le répercute automatiquement dans son devis. C’est toujours le client qui paye.
D’autre part, l’indisponibilité d’un artisan n’a aucun remède. Cela dit, un professionnel possède un réseau et une connaissance de l’offre qui lui permet d’anticiper une pénurie. Mais des arrêts de chantier de longue durée sont tout de même fréquent dans ce métier.
Même quand on arrive à trouver la perle rare, les retards pendant les travaux sont extrêmement fréquents. Un artisan est généralement très sollicité. Il lui faut assumer de nombreuses tâches très diverses et chronophages. Il lui faut répondre dans l’urgence aux aléas tels qu’un client mécontent sur un chantier précédent. Alors le client doit être opiniâtre. Il faut relancer, rappeler les engagements pris et parfois même menacer. Ce ne sont pas des actions faciles à faire. Tout le monde n’en a pas forcément ni la force ni le courage.
Un autre aspect important de la dépendance vis à vis de l’artisan est la technique. On peut avoir des idées précises de ce que l’on veut tant au niveau de la conception, de la mise en œuvre que du choix des matériaux. Les artisans n’aiment pas cela. Leur expérience leur a fait acquérir une technicité, un geste, un savoir-faire et ils ont l’habitude de travailler avec certains matériaux. Cela est normal et souhaitable. Alors peu d’artisan acceptent les remises en cause, sources d’inconnus et de pertes de temps.
Le dernier mais néanmoins important aspect est la qualité du travail réalisé. Bien que la majorité des artisans effectuent un travail de qualité, il existe néanmoins un certain nombre de cochon, suffisamment nombreux pour noircir l’image de cette profession. Il existe aussi un nombre important de chieurs dans la clientèle mais sachez que la réglementation n’est pas des plus favorable pour les seconds. Vis à vis de la loi, la seule contrainte d’un artisan est de respecter les DTU (Directives Techniques Unifiées). Elles correspondent à l’état de l’art. Ces documents tentent de réglementer les dispositions constructives de la façon la plus quantifiée et objective possible. Ce n’est pas pour autant qu’un travail conforme au DTU est un travail bien fait. Il y a une part subjective, souvent liée à l’aspect, qu’il est difficile de formaliser. D’autre part, les DTU sont parfois assez laxistes notamment en ce qui concerne les travaux n’ayant pas de conséquences sur la sécurité (carrelage, plâtre, etc.). Donc si vous n’êtes pas content sur l’aspect ou l’imprécision du travail réalisé, le juge se réfèrera aux DTU en vigueur et donnera raison à Riri, Fifi ou Loulou.
Mise au bout à bout, toutes ces tracasseries finissent par vous pourrir la vie. Quel client n’a pas son anecdote, sa catastrophe à raconter ? Certains en arrivent même à regretter d’avoir commencer leur projet. Un autoconstructeur qui réalise lui-même tous les travaux n’aura pas toutes ces tracasseries. Il n’a pas à dépouiller les pages jaunes, dépenser une fortune en coup de téléphone et perdre son temps en courriers de demandes de devis. Son planning ne dépend pas de celui des artisans. Il avance à son rythme, quand et comme il le veut. Il n’a pas à négocier des heures pour imposer l’utilisation de tel matériau ou de telle marque. Un autoconstructeur assume ses choix et ses actes. Si c’est mal fait, il recommence, il répare ou il s’en accommode. Vite fait. Pas de perte de temps et de salive. Pas de lettres recommandées. Pas d’angoisse. Bref, il est indépendant.
- Écologie :
Heureusement pour nos enfants, l’écologie est à l’ordre du jour dans l’habitat. Cela signifie de nouvelles manières de concevoir et de construire, de nouveaux matériaux. Malheureusement, encore peu d’artisans sont à la page. Cela contribue à la pénurie et à de grandes difficultés pour imposer ses choix à l’artisan, aspects que l’on a déjà évoqués plus haut. De plus, les matériaux et produits écologiques sont en général plus onéreux que les traditionnels. Ils requièrent parfois une mise en œuvre plus longue.
Il est alors tentant de palier aux lacunes liées aux professionnels et de compenser les surcoûts en mettant la main à la pâte. De fait, on constate que beaucoup d’autoconstructions sont écologiques et que beaucoup de maison écologiques sont réalisées par des autoconstructeurs. On le voit sur ce site Web dans la rubrique "Réalisations", les maisons bioclimatiques sont sur-représentées.
Pourquoi l’autoconstruction est-elle aujourd’hui possible ?
On l’a vu, les nécessités économiques, le plaisir de faire par soi-même et de créer, le développement personnel, la volonté d’indépendance, les motivations écologiques sont de grands moteurs pour franchir le pas et devenir autoconstructeur. Mais ces motivations sont amplifiées par d’autres facteurs :
- Élévation du niveau d’éducation :
De tout temps, il a toujours existé une conscience politique que l’éducation des masses est le fondement du développement économique et un impératif pour la paix. Cette conscience n’a cessé de croitre ; notamment depuis le traumatisme des deux dernières guerres mondiales. Et par conséquent, l’éducation représente en occident la part la plus importante du budget des états après le poste... Défense nationale.
La proportion des diplômés augmente chaque année ainsi que le niveau des diplômes. Bien que l’obtention d’un diplôme n’est pas la preuve d’une certaine curiosité ou d’une ouverture d’esprit, il est le gage d’un certain niveau d’éducation. Il permet d’obtenir les clés pour ouvrir des portes réservées alors à des spécialistes. On n’hésite plus à explorer de nouveaux domaines, une fois que l’on a compris que tout cela n’est pas si sorcier que cela.
- Accès à l’information :
Depuis quelques décennies le développements des médias, l’apparition des journaux spécialisés et d’ouvrages de vulgarisation, puis le développement de l’informatique et enfin de l’Internet permettent un accès facile à l’information spécialisée, autrefois réservées aux professionnels. On trouve sur le Web un nombre impressionnant de sites sur le Bricolage, la déco, la maison, tels que votre site @utoconstruction. On trouve également des Forums de discussions qui permettent d’échanger de l’information et de rentrer en contact avec d’autres passionnés.
- Développement des technologies :
Suite à l’inflation des coûts de la main d’œuvre, les industriels ont rapidement compris que la compétitivité des artisans passaient par des produits à mise en œuvre rapide, c’est-à-dire facile. La majorité des produits du bâtiment sont aujourd’hui faciles à mettre en œuvre. Ils ne nécessitent plus un savoir-faire élitiste. Quelques exemples : Les plaques de plâtre (le placo), la plomberie PER sans soudure, les kits électriques complets, les produits du bâtiments tels que les colles et enduits tout prêt.
Cette facilité bénéficie maintenant aux autoconstructeurs.
- Aspiration au développement personnel :
Depuis les 70’s, le développement personnel est devenu une motivation principale pour l’Homo Sapiens occidentale. Cela l’amène à rechercher des activités créatives telles que l’autoconstruction.
- l’explosion des loisirs créatifs :
Cette aspiration se traduit par une augmentation de l’offre : nouvelles activités, nouveaux produits, nouveaux enseignes commerciales, nouveaux médias.
les risques
Économie, indépendance, développement personnel et même plaisirs de faire ; Tout cela est bien beau mais l’autoconstruction recèle des risques bien loin d’être négligeables.
- Famille :
L’autoconstruction est une activité captivante et de longue haleine. Celui qui la pratique peut négliger ses proches sans même s’en rendre compte. Quand bien même il s’en rend compte, il est pris par son projet. On arrête pas comme cela du jour au lendemain. De plus l’autoconstructeur n’est pas forcément suivi ou supporté par son compagnon. Le projet peut connaître des phases de crise, de doute, qui se répercutent immanquablement sur l’environnement familial. De fait, on constate un nombre important de divorces chez ces couples.
L’idéal est d’avoir le même niveau de motivation et d’implication directe dans le projet ; chacun participant activement selon son niveau physique et ses compétences. Mais c’est malheureusement très rare.
De même, faites attention à ne pas perdre de vue vos amis. Je me sents coupable quelques fois de manquer de temps pour entretenir cette amitié.
- Santé :
La construction d’une maison est une activité très physique. On sollicite ses muscles mais aussi tout le reste. Le squelette et les articulations sont mis à rude épreuve. On charge des matériaux lourds. La mise en œuvre demande de gros efforts même avec l’utilisation d’outils appropriés. Les journées peuvent être longues et harassantes. On travaille en plein air, sous la pluie, la neige ou sous un soleil de plomb.
On pourrait penser que cela peut remplacer avantageusement une activité sportive. Et de fait, on fait travailler la machine jusqu’à constater un effet positif sur sa musculation. Mais attention il faut prendre garde à ne pas user le bonhomme. Pour ma part, j’ai eu de nombreuses tendinites et j’ai développé une hernie inguinale. Certes c’est une pathologie très répandue et sans conséquence mais je ne pense pas que je l’aurai développée si j’étais resté sagement dans mon fauteuil.
Il faut également prendre garde aux accidents qui sont malheureusement trop fréquents : chute de l’échelle, chute de matériaux, électrocutions, brûlures, blessures avec outillage.
Faites gaffe quoi !
- Rater son œuvre :
L’autoconstructeur n’est généralement pas un professionnel expérimenté. Il commet des erreurs. C’est inévitable. C’est même formateur. Cependant, il s’agit d’éviter les erreurs irréparables. Il peut s agir d’erreurs affectant l’esthétique du bâtiment que de celles pouvant remettre en cause son usage, voire qui exigent sa destruction. L’autoconstructeur doit assumer ses choix. Sans non plus vouloir exagérer cet aspect, il faut être conscient que les échecs existent.
Pour ma part, j’ai commis de nombreuses erreurs, tant dans la conception architecturale, dans les choix techniques que dans la mise en œuvre. Heureusement, ces erreurs sont négligeables par rapport aux bénéfices. J’en suis le seul qui en soit vraiment conscient.
Conclusion
Je ne voudrais pas terminer cet article sur ces mises en garde sans dire que si c’était à refaire, je n’hésiterais pas un instant. Au bout de sept ans, mon projet n’est toujours pas terminé. Ma motivation est toujours aussi forte. C’est même devenu un besoin. Je pense en avoir pour quelques années encore. Après, j’essaierai de passer à autres choses.
Mais déjà l’idée d’un second projet fait son chemin.