L’autoconstruction, la pratique originelle et naturelle pour construire son habitat

Ratia

Depuis son origine, l’homme a toujours eu le besoin de se protéger de son environnement souvent hostile : climat, envahisseurs divers. Joseph Rykwert, dans son ouvrage intitulé « La maison d’Adam » propose d’identifier la « maison originelle » à travers la dimension mythique du premier chapitre de la Bible, la Genèse. En effet, il fait l’inventaire des différentes interprétations qu’ont pu donner architectes et penseurs qui se sont interrogés sur la question de l’habitat originel. Marc-Antoine Laugier (1713-1769), jésuite et homme de lettres, est considéré comme le père du naturalisme. D’après lui, le premier homme à avoir construit un abri, devait imiter la nature, voir l’améliorer à son avantage. Il parle ici de :

[…] L’homme dans sa première origine, sans autre secours, sans autre guide que l’instinct naturel de ses besoins. Il lui faut un lieu de repos. Au bord d’un tranquille ruisseau, il aperçoit un gazon ; sa verdure naissante plaît à ses yeux ; son tendre duvet l’invite ; il vient ; et mollement étendu sur ce tapis émaillé, il se songe qu’à jouir en paix des dons de la nature ; rien ne lui manque ; il ne désire rien ; mais bientôt, l’ardeur du soleil qui le brûle l’oblige à chercher un abri ; il aperçoit une forêt qui lui offre la fraîcheur de ses ombres ; il court se cacher dans son épaisseur ; et le voilà content. Cependant, mille vapeurs élevées au hasard se rencontrent et se rassemblent, d’épais nuages couvrent les airs, une pluie effroyable se précipite comme un torrent sur cette forêt délicieuse. L’homme mal couvert à l’abri de ces feuilles, ne sait pas comment se défendre de l’humidité incommode qui le pénètre de toutes parts. Une caverne se présente ; et, se trouvant à sec, il s’applaudit de sa découverte : mais de nouveaux désagréments le dégoutent encore de ce séjour ; il s’y croit dans les ténèbres ; il y respire un air malsain, il en sort résolu de suppléer, par son industrie, aux inattentions et aux négligences de la nature. L’homme veut se faire un logement qui le couvre sans l’ensevelir. Quelques branches abattues dans la forêt sont les matériaux propres à son dessein. Il en choisit quatre des plus fortes, qu’il élève perpendiculairement et qu’il dispose en carré. Au-dessus, il en met quatre autres en travers, et sur celles-ci, il en élève qui s’inclinent et qui se réunissent en pointe des deux côtés. Cette espèce de toit est couverte de feuilles assez serrées, pour que le soleil ni la pluie ne puissent y pénétrer ; et voilà l’homme est logé. Il est vrai que le froid et le chaud lui feront sentir incommodité dans sa maison ouverte de toutes parts mais alors, il remplira l’entre deux des piliers et il se trouvera garanti…*

« La maison d’Adam au paradis », Joseph Rykwert, Edition du Seuil, 1976

Cette description quelque peu caricaturale de l’abri originel par l’homme primitif, relève des questions. Laugier décrit minutieusement sur plusieurs lignes l’inconfort que peu avoir l’homme dans un environnement naturel relativement hostile : « l’ardeur du soleil qui le brûle », « une pluie effroyable », « air malsain » de la caverne.... Et pour se protéger, l’homme doit construire un « logement ». La caricature est poussée à l’extrême dans le sens où la construction de son abri se fait d’une façon très précise, avec une géométrie déjà proche d’une architecture savante (« perpendiculairement », « dispose en carré »). Laugier va plus loin lorsqu’il décrit la construction de la toiture à deux pentes symétrique avec entablement. Il est difficile de concevoir qu’un homme « dans sa première origine » puisse du premier coup établir une architecture précise et efficace.

Comme toute architecture vernaculaire, les modes de constructions se transmettent de générations en générations. Progressivement, les techniques se complexifient et évoluent pour s’adapter aux nouvelles mœurs qui obéissent à des contextes environnementaux, historiques et culturels. La connaissance constructive dans l’architecture vernaculaire est souvent véhiculée par les traditions locales. Ces connaissances étaient souvent acquises par diverses tentatives et s’affinaient au-fur-et-à-mesure des échecs.

Le terme « autoconstruction » n’existe pas dans le dictionnaire de la langue française. Il est toutefois sous-entendu dans la définition générale de « la participation » en matière de production de l’environnement bâti dans « le dictionnaire de l’urbanisme et de l’aménagement » (Pierre Merlin et Françoise Choay, ed. PUF, 1988) mais le terme ne sera jamais prononcé : La participation des individus et/ou des groupes à la production-gestion de leur cadre de vie apparaissait comme une nouvelle panacée, à la fois instrument d’intégration psychosociale (notamment dans le cas des minorités ethniques et des catégories sociales défavorisées) et un outil économique pouvant contribuer à résoudre le problème du logement social (cf. J.F.C. Turner, Freedom to build, Londres-New York, 1972).

Le mot est composé du terme grec autos (adj. Pronominal signifiant à la fois « le même, lui-même, de lui-même » et du latin constructio datant du XIIe siècle. D’après le dictionnaire étymologique de la langue française, le préfixe « auto- » est le premier élément de mots savants complexes. En effet, « l’autoconstruction » réalisée avant l’ère industrielle est définie dans « le dictionnaire de l’urbanisme et de l’aménagement » comme étant « architecture vernaculaire » : […] l’implication des habitants dans la construction (architecture vernaculaire), en milieu rural ou urbain, dans les sociétés préindustrielles ou traditionnelles.
La différence entre l’architecture vernaculaire et l’autoconstruction, réside donc dans le contexte dans laquelle, l’une et l’autre évolue. La première s’est développée dans un contexte dépourvu d’une connaissance savante, mais par l’accumulation d’expériences. Le second terme, a commencé à être utilisé lorsque la production de l’habitat s’industrialisait, et par conséquent, le vernaculaire devenait marginal voir interdit dans les milieux urbains compte tenu des innombrables règles et normes imposées par la ville.