Appropriation de la construction, Insertion et La transmission de la (des) connaissance (s)

Albert HASSAN

Appropriation de la construction

L’architecture ne parvient pas à permettre à l’usager d’un bâtiment son appropriation d’une nouvelle construction selon l’autoconstruction formalisée. Selon Peter Hübner, elle ne passe pas par la beauté de celle-ci, mais plutôt par le fait de laisser l’usager participer à la conception du bâtiment ou à sa construction. Selon le rapport du Conseil d’Etat, la pratique de l’autoconstruction et de l’autoréhabilitation permet aux habitants (…) de se réapproprier individuellement et collectivement les fondamentaux du « savoir habiter », de reprendre confiance en soi, de rompre l’isolement et, pour les chômeurs, de mieux préparer un retour vers l’activité et l’emploi [1].

Deux réponses sont apportées par l’autoconstruction formalisée. Marcel Lods, George Maurios, Yona Friedman, fournissent le cadre technique à partir duquel l’usager peut configurer lui-même son lieu de vie. Ils mettent en place une structure au sein de laquelle des plateaux libres seront aménagés parhabitant comme bon lui semble. Dans le domaine du logement, les recherches de Patrick Bouchain et Lucien Kroll adaptent ces idées, ils les prennent en compte dès la conception les souhaits de l’habitant. Ils laissent l’intérieur du bâtiment suffisamment brut pour ne pas imposer leurs codes esthétiques à celui qui se sert de ce bâtiment.

Patrick Bouchain propose dans le cadre des équipements publics une deuxième solution à ce manque. Il modifie la relation du maître d’œuvre au constructeur, pour que la marque de ce dernier apparaisse dans le projet construit. Il procède en maintenant le dessin à un niveau de précision faible, qui impose l’aspect final mais pas le mode d’exécution pour y parvenir. Il demande directement au constructeur quel est son savoir-faire, et utilise en premier lieu la parole pour que son interlocuteur représente l’idée énoncée, jusqu’à ce que ce dernier aboutisse au même dessin que l’architecte. Il a ainsi inclus dans ce dessin son savoir-faire ; l’architecte ne s’oppose pas au constructeur, mais le pousse à participer au projet. Il réduit de plus au minimum la mise en œuvre de faux-planchers, faux- plafonds, et laisse ses constructions brutes, dans le sens où le mode de construction participe à l’esthétique générale de l’espace qu’il génère.

Insertion

L’architecte permet l’incertitude : il restreint son impact sur l’esthétique d’une construction en laissant à l’usager la liberté d’y insérer ses propres codes. L’appropriation d’un bâtiment ou d’un quartier passe par la multiplicité apparente de la vie qui s’y déroule. L’architecte favorise cette esthétique par son projet. En ce faisant, il permet donc l’autoproduction de l’habiter. Celle-ci n’est pas nécessairement réalisée par l’habitant lui-même, car il faut un minimum de compétences pour faire de la production domestique comme pour faire toute autre chose. En revanche, elle permet l’insertion de ce dernier qui recherche parmi son réseau et ses connaissances personnelles une mise en œuvre de son souhait. C’est le fondement de l’action du PADES, que résume ainsi Daniel Cérézuelle :

L’autoproduction collective ou individuelle, appuyée sur une mise en commun de l’achat des matériaux, des assurances, etc. correspond à une tradition ouvrière plus respectueuse du caractère pluridimensionnel de « l’habiter », de l’usage et de l’appropriation du logement. Mais aujourd’hui la législation, les dispositions et les pratiques administratives se sont organisées autour du modèle dominant de la production industrialisée d’unités de logement à prix modéré [2].

Dans le domaine de l’architecture, c’est l’occasion pour l’architecte de maintenir un savoir-faire individuel, qui se perd lors de la livraison de bâtiments produits selon des normes industrialisées. Au contraire, l’exigence de maintenir un certain niveau d’autoproduction permet l’insertion de certains de ses bénéficiaires par le travail non-monétaire. Dans mon entretien avec Julien Beller, celui-ci argumente en faveur d’une autoconstruction formalisée, notamment lorsque la construction est destinée à des populations en marge de la vie moderne, fondée sur le travail comme processus socialisant :

Et en même temps on en profite – c’est peut-être ça le sujet de ton travail – pour valoriser des savoir-faire qui se perdent, des gens qui sont tellement stigmatisés qu’on dit qu’ils ne savent rien faire, mais ils savent faire. Mettre à parti leur temps de travail. Pareil je travaille avec des SDF sur un centre d’hébergement. L’idée c’est de mettre à parti des gens qui sont dans l’errance, dans le non-faire et qui ne demandent qu’à faire, mais qui n’ont pas accès au marché du travail, et du coup l’autoconstruction devient un moyen pour eux de s’impliquer, d’avoir un travail à faire, et en plus quand tu t’impliques pour toi c’est toujours hyper valorisant.

La transmission de la (des) connaissance(s)

On l’a vu, l’architecte qui recourt à l’autoconstruction formalisée admet ne pas maîtriser totalement les modes de construction, et au lieu d’imposer des dispositifs constructifs et des assemblages avant l’intervention des constructeurs, il prend en compte la capacité de ces derniers à lui transmettre des connaissances en construction qui amélioreront le dessin premier. Il refuse de prendre part au chantier tel que décrit par Nicolas Jounin, celui qui recourt à l’intérim à outrance sans considérer que chacun des intervenants peut apporter sa connaissance à l’élaboration du projet, celui qui fait travailler la main d’œuvre à la manière d’une machine, exigeant de répéter un même geste sans qu’elle ne sache vraiment pourquoi.

Les enfants ont aussi une place particulière dans l’auto construction formalisée. Peter Hübner montre qu’il ne faut pas les mésestimer puisqu’ils parviennent à construire une école lorsque l’encadrement s’y prête. Ils conçoivent en partie le projet, l’architecte n’intervient que pour rendre réalisables les maquettes qu’ils ont fabriquées, et avant cela pour leur transmettre la connaissance qui leur évitera de travailler pour un résultat sans valeur. Les élèves les plus âgés de l’école de Gelsenkirchen ont travaillé comme assistants charpentiers. Pour l’architecte, l’homme a une capacité innée à se loger qu’il prend en compte dans l’élaboration de ses projets.

Dans une moindre mesure, Patrick Bouchain montre que la présence d’enfants sur chantier devrait être autorisée. Il favorise la visite du chantier de la Condition publique à Roubaix par des enfants. La maison commune des chantiers de l’agence Construire devient un centre de formation, un atelier, un lieu de transmission des savoirs [3].

Notes

[1Conseil d’Etat, ibid.

[2Daniel Cérézuelle, ibid.

[3Loïc Julienne, « Le chantier, acte culturel », in Construire ensemble le grand ensemble