Réemploi et appropriation de la construction

Albert HASSAN

Réemploi

Le réemploi est l’acte par lequel on donne un nouvel usage à un objet existant tombé en désuétude, qui a perdu l’emploi pour lequel il avait été conçu et fabriqué. J [1]
Le réemploi associe donc les trois formes de valorisation de la matière que sont :

  • la réutilisation, l’objet garde sa fonction première
  • la récupération, l’objet obsolète trouve un nouvel usage
  • le recyclage, l’objet perd sa forme et son usage.

On l’a compris, le réemploi est inhérent à la recherche d’expérimentation de l’autoconstructeur isolé. Ferdinand Cheval a pensé à édifier son palais après s’être demandé que faire de toutes les pierres qu’il rencontrait au cours de ses rondes de facteur. Tatsumi Masuoka, sans-abri d’Osaka (Japon) ayant réalisé une maison dans la rue avec des matériaux de récupération, s’est vu proposer la construction d’une maison en canettes en collaboration avec un artiste dans le cadre de l’exposition Bricolage Art Now : Adventures in Everyday Life du Musée National d’Ethnologie d’Osaka.
Gilles Clément décrit longuement la quête d’un escalier naturel qu’il entreprend avec un ami pour accéder à l’étage supérieur de sa maison :
Nous marchons la tête en l’air, persuadés de trouver dans les frondaisons d’hiver, au squelette bien visible, une architecture conforme à nos souhaits. Vers le milieu du bois, dans l’échange de nos impressions sur telle ou telle courbure, nous tombons à la renverse dans les feuilles, de part et d’autre d’une branche écorcée, sèche, parfaite : l’escalier.
La branche était là qui nous attendait. Nul besoin de la séparer de l’arbre, une tempête ancienne l’avait déposée sans dommage à mon pied. (…)
Placée dans le vide entre la loggia et le sol, la branche flotte naturellement. Elle se courbe au bon endroit pour faire tourner les marches. Les formes se répondent comme si l’arbre et la maison avaient grandi ensemble. (…)
Quelques cales suffisent à rendre horizontaux les plats de marche. Il n’y a pas de contre-marche. Il n’y a pas de garde-corps, pas de main courante, seul un limon filant de châtaignier écorcé. En moins d’une semaine, l’escalier brut venu d’un arbre centenaire trouve sa place définitive. (…)

Pour des raisons de précarité économique, certains autoconstructeurs n’ont d’autre choix que le réemploi. C’est le cas de Jean, qui a construit un pavillon préfabriqué Mondial Fabric et qui a récupéré les poteaux électriques en béton laissés au bord des routes après avoir remarqué leur solidité pour les concasser, en récupérer les fers et en faire le béton des fondations de sa maison. Pour les cinq autoconstructeurs de Pierre Gaudin, l’art du détournement (le sable « tombé du camion »), de la perruque, de la récupération, est de ne pas se laisser voir dans l’œuvre finale. C’est faire comme si c’était « vrai » (et parfois mieux) dans le plus grand art de l’imitation.

Appropriation de la construction

Il est souvent reproché à l’architecte de ne pas avoir pris en compte les besoins spécifiques de l’habitant lors de la conception d’un logement. Ce lieu commun n’est pas nécessairement infondé, puisque la capacité d’un habitant à exprimer ses besoins et à les voir exprimés en plan n’est pas systématique. Devant ce constat, l’autoconstructeur autonome qui choisit son habitat se prémunit de ce risque. Ayant maîtrisé la construction, il se l’approprie sans effort et, comme on le note souvent, ne la finit jamais, tant il est capable de répondre à un besoin pratique de réaménagement ou à une envie de modifications d’ordre esthétique.
L’autoconstruction neuve correspond souvent à un projet de vie, il n’est a priori pas envisagé de déménager un jour de la maison qu’on a construite. Certains autoconstructeurs finissent par le faire, mais la norme est plutôt à la réalisation d’une seule maison, qui est déjà le fruit de plusieurs années de labeur. Il est apparu que chacun a fait le choix de s’installer dans une région en rapport avec son projet global de vie à plus ou moins long terme. Cela évidemment sans prendre toujours en perspective le temps de la retraite, de l’après-soi et de la nécessaire transmission, écrit Pierre Gaudin. L’appropriation du logement va de pair avec celui de la nouvelle vie, il en est en quelque sorte l’étendard.

Dans une moindre mesure, les travaux du PADES [2] montrent que savoir faire des travaux chez soi permet de se réapproprier son lieu de vie, de le voir sous un autre angle. Maîtriser l’autoréhabilitation réussit à n’en pas douter à faciliter l’appropriation de son logement, et le succès de revues comme Système D, qui présente dans tous ses numéros des chantiers autoconstruits [3], ou de l’émission de Direct 8 48h Brico attestent de ce besoin des habitants.

Notes

[1ean-Marc Huygen, La poubelle et l’architecte : vers un réemploi des matériaux, Arles, Actes Sud (L’Impensé),
2008

[2Programme Autoproduction et Développement social

[3Dans l’un de ces articles, on lit la réalisation d’une salle à manger à la lumière zénithale dans l’ancienne cour peu engageante de la maison de Mélanie Hetzel et Guillaume Reysz. in Système D n°765, octobre 2009