Des premières coopératives d’habitations aux H.B.M.

Ratia

Depuis toujours, s’abriter et abriter sa famille demeurait une nécessité. C’est un besoin normal et naturel au même titre que boire ou manger. La question du logement devient un problème lorsque la demande est supérieure à l’offre. Notamment, la situation s’est compliquée à l’ère industrielle. Ce nouveau secteur de travail entraîne un exode massif des paysans vers les villes qui proposent des emplois. C’est en Grande-Bretagne, au début des années 1840, que l’on constate une phase très rapide d’industrialisation. En effet, il s’est développé dans cette partie de l’Europe, des machines performantes qui pouvaient se substituer à une part importante de la main d’œuvre pour un coût inférieur. Le licenciement progressif des artisans a entraîné de vives protestations. Des mouvements ouvriers se constituent un peu partout, notamment à Rochdale, une banlieue de Manchester pour lutter contre cette fatalité. Le 24 octobre 1844, ils formèrent la Société des Equitables Pionniers de Rochdale et rédigèrent les statuts suivants : « La société a pour objet et pour plan de prendre des arrangements pour l’avantage pécuniaire et pour l’amélioration des conditions sociales et familiales de ses membres, en réunissant un montant suffisant de capitaux divisés en parts d’une livre chacune, afin de mettre en pratique les projets suivants :

  • L’établissement d’un magasin pour la vente de vivres, de vêtements, etc...
  • Construire, acheter ou édifier un nombre de maisons destinées aux membres qui désirent s’aider mutuellement pour améliorer leur condition domestique et sociale ;
  • Commencer la manufacture de tels produits que la société jugera convenables pour l’emploi de membres qui se trouveraient sans travail ou qui auraient à souffrir de réductions répétées sur leurs salaires ;
  • Pour procurer aux membres de cette société un surcroît d’avantages et de sécurité, la société achètera ou louera une ou plusieurs terres qui seront cultivées par des membres qui se trouveraient sans emploi ou dont le travail serait mal rémunéré ».

Les Equitables Pionniers de Rochdale seront à l’origine d’un vaste mouvement d’organisation économique et sociale qu’est la coopération. Bien que le contexte était similaire en France, voire pire en matière de logement ouvrier au milieu du XIXe siècle, les mesures pour y remédier furent plus tardives. De nombreux savants et philanthropes ont virulemment critiqué les conditions de vies déplorables dans lesquelles ces familles d’ouvriers et d’artisans s’entassaient. Faisant partie de classes bourgeoises, une poignée d’employeurs clairvoyants se font un devoir d’améliorer leurs conditions de vie pour une meilleure rentabilité. En se basant sur le fait qu’un travailleur vivant dans un logement de bonne qualité produit un travail de bonne qualité, le devoir d’assistance devient très rapidement paternalisme.

  • Jean-Baptiste Godin et son “Familistère de Guise” ou les compagnies minières dans le Nord montrent la voie. L’exemple le plus marquant se situe à Mulhouse où l’industriel Jean Dollfus crée en 1853 avec d’autres industriels une société des cités ouvrières. Celle-ci avait construit 1 240 maisons en 1895 et abritait alors plus de 10 % de la population de la ville.
  • Emile Justin Meunier finance en 1874, la construction de la cité ouvrière dont il loue les maisons aux couples travaillant dans sa chocolaterie à Noisiel, en Seine-et-Marne.

Mais l’exemple le plus significatif vient de plus haut : Napoléon III favorise en 1867 la création de la Société coopérative immobilière des ouvriers de Paris qui édifie une cité ouvrière avenue Daumesnil à Paris XIIe. Cette coopérative peut être considérée comme étant l’ancêtre des coopératives d’habitation. Depuis 1864, les syndicats ouvriers font du logement l’une de leurs principales préoccupations, mais les coopératives d’habitations ne font pas l’unanimité : les partis communistes voient dans l’accession à la propriété, une sorte d’embourgeoisement chez les ouvriers. Pour les promoteurs du logement ouvrier, l’accès à la petite propriété, bien plus que le simple statut de locataire, doit procurer sécurité et tranquillité, face à une économie capitalistique incertaine. La forme coopérative se voit reconnaître des vertus républicaines : elle serait une école de la tolérance et du dialogue ainsi que du partage. La Foncière de Reims en 1870, la Société civile coopérative de consommation du XVIIIe arrondissement de Paris en
1884, le Coin du Feu à Saint-Denis ou le Cottage d’Athis-Mons en 1894 font figure de pionniers de la coopération d’habitation.

Cependant, la mobilisation de l’initiative privée est loin d’être suffisante. Pour vulgariser le logement ouvrier et inciter à la constitution de sociétés immobilières spécialisées, les tenants de ce mouvement, sous la houlette de Jules Siegfried, créent la Société française des habitations bon marché (SFHBM) à l’issue de l’Exposition universelle de 1889. Des comités

de patronage des HBM sont constitués un peu partout en France et ont pour rôle de favoriser la prise de conscience des élites économiques et politiques. En 1894, le Parlement vote la première loi sur les logements “d’habitation à bon marché” (appellation préférée à celle de logements ouvriers).