Appropriation de la construction et Confiance en l’autre

Albert HASSAN

Appropriation de la construction

Le constat est à présent unanime parmi les acteurs de l’assistance à une autoconstruction : l’appropriation de la construction pour des populations pauvres, déplacées ou sinistrées, passe par sa participation au projet. Hassan Fathy a élaboré cette thèse il y a plus de cinquante ans, lorsqu’il a observé que Anna Heringer réclame l’aide des populations locales pour la construction de la Homemade school. Tyin déplore dans un premier temps la faible implication dans leur projet de bibliothèque Old Market à Bangkok (Thaïlande), en particulier de la part des adultes, mais les deux architectes se rendent rapidement compte que, lorsque le projet devient réel, un groupe participe quotidiennement au chantier et développe un attachement personnel à la construction favorisant le fonctionnement à long terme du bâtiment. Les Castors de Dakar ont beau avoir construit eux- mêmes leur futur logement, ils se rendent compte après coup de l’inadéquation de la maison à leur mode de vie (maison mono-nucléaire inadaptée au partage des tâches ménagères entre femmes, salon trop petit pour recevoir…).

C’est ainsi que l’assistance à l’autoconstruction prend conscience de la nécessité que l’habitant participe également à la conception. Yona Friedman l’a pourtant toujours recommandé. A São Paulo, la maquette est approuvée par les mutirantes après la proposition de plusieurs maisons-types qui ne leur convenaient pas. A Aranya, Doshi a eu l’intelligence de laisser en apparence l’autoconstructeur libre ; mais celui-ci, peu expérimenté dans la conception d’une construction ex- novo qu’il n’aurait pu se permettre sans l’intervention de l’acteur public, reprend assez logiquement le dessin des maisons-modèles, premiers édifices bâtis sur le site vierge. Le but de Jean-Christophe Grosso est de se faire voler le projet Noria par une entreprise d’une manière suffisamment efficace pour qu’il devienne un standard en Haïti. Il me l’explique lors de notre entretien :

Bien sûr j’ai un rêve quelque part, c’est qu’il y ait quelqu’un qui s’accapare un des projets de Noria, et qui avec son intelligence interne à la société, parce que nous sommes toujours dans des milieux un peu centrés : dès que tu es blanc déjà, et ensuite dès que tu arrives dans le cadre d’ONG, l’environnement est modifié autour de toi. J’aimerais bien qu’il y ait quelqu’un un jour qui vole un modèle Noria, entièrement ; le site est quand même fait pour ça ! On y trouve les plans, bientôt les notes de calcul et les plans de fabrication. Que quelqu’un le vole, et qu’il dise : là je vais pouvoir faire de l’argent avec, de la même façon qu’il se dit : si j’arrive à rentrer dans une banque anglaise, je vais faire de l’argent. Et je crois que, comme ils arrivent vraiment à rentrer dans les banques, ils y arriveront.

Confiance en l’autre

L’assistance à une autoconstruction doit créer les conditions d’une confiance réciproque pour intervenir sur le terrain de populations peu habituées à voir un inconnu arriver et offrir un changement complet d’environnement. D’autant plus lorsque l’inconnu est un ressortissant d’un pays étranger.

Pourquoi relier les habitants, les communautés, les femmes, les artisans et les enfants à la fabrication de l’édifice depuis sa conception jusqu’à sa réalisation ? se demande Florence Sarano. Rassembler autour de l’édification, c’est donner à chacun sa place qui ne se réduit pas à l’effort financier, une identité revisitée, faite de l’accumulation de petits gestes [1].

Lors de l’intervention des étudiants du DSA Architecture et risques majeurs à Djibouti, le problème s’est posé différemment, et les réfugiés ont surtout vu d’un mauvais œil la participation de populations d’ethnies différentes sur leur construction, car ils ont craint de se faire accaparer leur faible apport économique éventuel.

Le Mouvement de Vila Remo a créé une confiance entre mutirantes à travers la lutte et les revendications derrière lesquelles tous se sont accordés :

  • droit d’usage de la terre garanti pendant 99 ans et financement des infrastructures urbaines par le Gouvernement de l’Etat ou par la Mairie de la ville
  • recevoir et gérer l’argent, versé directement sur le compte de l’Association, destiné à l’achat du matériel de construction
  • rembourser cet argent par des traites mensuelles qui ne doivent pas dépasser 10% du salaire minimum
  • droit de construire en « mutirão » – groupe d’aide mutuelle – des maisons de meilleure qualité et plus grandes que celles construites par les entreprises. [2]

Comme dans le cas du mouvement Castor en France, toutes les maisons sont construites avant leur distribution. Les mutirantes peuvent faire appel à des auxiliaires dont les heures de travail sont décomptées de celles du travailleur habituel. Pourtant, deux femmes racontent les difficultés qu’elles ont affrontées pendant le chantier : celui-ci a été réalisé pendant la saison des pluies, et l’équipe technique a commis l’erreur de ne pas commencer par la construction d’une maison en bois pour y abriter les enfants. Elles se sont battues pour monter elles-mêmes une protection pour les enfants et pour écrire une lettre et d’autres réclamations administratives malgré leur manque d’éducation et les obstacles posés par les coordinateurs généraux, pour qu’on offre à manger à ces enfants. Elles n’ont pas parlé de ce problème en assemblée générale, et ont préféré tout faire elles-mêmes, persuadées qu’elles ne seraient pas écoutées. Les femmes ont globalement eu du mal à être reconnues comme des travailleurs normaux sur le chantier.

Notes

[1Florence Sarano, Exposition réalisée par la villa Noailles, Construire ailleurs : Tyin et Anna Heringer : architectures, Paris, Archibooks, 2010

[2Jeanne Bisilliat, « Qu’est-ce qu’un mouvement populaire d’habitation ? », in Les Cahiers Orstom n°26, octobre-novembre-décembre 1989