Vie professionnelle, La transmission de la (des) connaissance (s) Expérimentation et chantier

Albert HASSAN

Vie professionnelle

L’aide internationale a dans un premier temps fait fi des techniques locales, mais elle a depuis pris conscience de la nécessité de la participation des futurs habitants. Elle profite de l’oisiveté de populations sans travail rémunéré le plus souvent : Architectes de l’Urgence mène depuis des projets pouvant être délégués par l’autoconstructeur à des entreprises locales. Elle donne de l’argent par paliers successifs, versés au bénéficiaire après expertise à chaque étape de la construction. Le cas échéant, l’économie réalisée par l’autoconstructeur en ne faisant pas appel à des spécialistes constitue pour ce dernier une rémunération, une entrée dans une vie professionnelle. C’est le but de l’association La voûte nubienne, qui cherche à banaliser la technique redécouverte par Hassan Fathy dans le Sahel ; elle forme à chacun de ses chantiers des maçons qui deviennent par là même des professionnels de la construction, et participe ainsi à la recréation d’une économie in situ. L’architecte égyptien avait déjà expérimenté cette démarche dans le cadre du projet de New Gourna, et avait imaginé un cursus de formation de maîtres maçons sur chantier en dix-sept semaines, d’abord assistants puis au fur et à mesure de l’augmentation de leurs aptitudes sanctionnés par des diplômes qualifiants. Jean-Christophe Grosso s’en inquiète dans le cadre de la reconstruction d’Haïti, il craint l’assimilation de la rémunération des populations locales pour le concassage des ruines (destiné à réalimenter les nouvelles structures en béton) à une sorte de punition.

Tyin met en place des techniques traditionnelles pour favoriser l’emploi de professionnels et la formation des habitants à un savoir-faire qui se perd. Dans la construction du mutirão de Vila Remo, l’équipe technique exige l’intervention de professionnels sur les tâches les plus compliquées et embauche des mutirantes assistants pour le travail en semaine. Les autres mutirantes participent au chantier le week-end, en dehors de leurs horaires de travail. De plus, les autoconstructeurs sont organisés en 25 groupes avec chacun un coordinateur, plusieurs équipes de travail et un coordinateur par équipe, qui ne sont pas forcément spécialistes de la construction. Les coordinateurs de groupe reçoivent une formation le samedi et se réunissent en assemblée le dimanche. Les Castors de Dakar ont employé deux, trois ou quatre professionnels par équipe.

La transmission de la (des) connaissance(s)

Les populations du tiers-monde sont majoritairement analphabètes. La transmission de la connaissance ne peut se faire par l’écrit ; Fathy propose donc la formation des maçons sur chantier et non dans une institution spécialisée. Il pense que c’est lorsque le besoin se fera sentir que les connaissances resurgiront, donc dans des situations concrètes. Yona Friedman propose de communiquer par la bande dessinée les fondements de l’autoplanification. Tandis que dans les pays riches, l’éducation permet aux autopromoteurs, aux Castors, de mettre rapidement en place des structures d’accompagnement ou d’apprentissage pour faciliter la démarche des suivants, la transmission de la connaissance se fait plus poussive dans les pays pauvres.
L’autoplanification n’est pas possible tant que l’autoplanificateur ne possède pas assez de connaissances pour être capable de lire sur une carte (le plan) les propriétés qui seront celles de l’objet, une fois réalisé [1].

Seul un architecte comme Hassan Fathy a la capacité d’importer la technique autrichienne du kachelofen et de l’adapter à l’Egypte, cette sorte de four dont la longueur des tubes d’extraction des fumées est particulièrement élevée, pour augmenter le rendement du chauffage au bois.

Expérimentation et chantier

La nécessité de bas coûts alliée à celle de favoriser la perpétuation d’une économie locale exige de l’assistance à l’autoconstruction d’expérimenter dans le cadre du chantier. Anna Heringer construit la Homemade school avec l’aide des populations locales. Les enfants ont d’ailleurs participé entièrement à la construction et de leur école et chacun d’eux a désormais inscrit fièrement son nom sur l’une des portes de l’établissement. A l’ère de la légèreté architecturale, Anna Heringer montre qu’il est possible de la rendre accessible à des enfants qu’on exclut en général de la construction, et de supprimer une grande partie du labeur lié au transport de matériaux sur chantier. Elle réalise de manière magistrale le vœu pieux de Patrick Bouchain. Selon Pierre Bernard, le transport à dos d’homme représente entre une fois et demie et deux fois le poids total du bâtiment [2].

A São Paulo, le chantier suit une parabole croissante. Au début, on se découvre les uns les autres ainsi que les compétences de chacun, le seul travail concerne les fondations, puis tout s’accélère au fur et à mesure. On découvre que les mutirantes sont sous-alimentés, ce qui les empêche de travailler dans de bonnes conditions. On organise donc une distribution de pain et café pour résoudre le problème, et le chantier s’en ressent. La complication majeure a été la question de l’organisation : dans le temps de la lutte pour l’obtention des revendications du mouvement a été prônée l’idéologie de l’égalité et la démocratie entre les membres. Mais dans le cadre du chantier une hiérarchie doit s’installer, pour éviter de laisser l’inorganisation gangréner le rythme de construction et par suite le projet dans son ensemble. L’établissement de cette hiérarchie a été souvent mal vécu, en particulier par les femmes. En revanche, l’architecte coordinateur note la différence entre entreprise et mutirão dans la faible organisation mais la simplification des rapports entre les différents acteurs, et un rôle très différent du chef de chantier qui est là pour collaborer et non pour commander brutalement.

Hassan Fathy a fait l’expérience d’un nouveau type d’architecture dans la redécouverte de la voûte nubienne, restreinte avant son intervention à une partie de la Nubie, région située au Sud de l’Egypte. Comme tout bon architecte, il réalise dans sa conception des dessins permettant au constructeur de s’orienter. Il entretient en parallèle une relation particulière avec les maçons qu’il découvre, qui deviennent ses maîtres dans le domaine de la construction. Dans ses premiers projets réalisés entièrement en terre crue, il se rend rapidement compte qu’un dessin partiel suffit aux artisans, qui connaissent parfaitement leur technique. Une coupe est inutile, car la hauteur de la voûte ou du dôme est déterminée par l’écartement des murs. Les maçons ont intériorisé ce savoir, et la connaissance de l’écartement des murs et de la hauteur voulue leur permet de savoir directement à quelle hauteur il faut démarrer la voûte. Ils regardent l’architecte s’escrimer à dessiner parfaitement l’arc caténaire des voûtes, lui disent d’abandonner cette complication qu’ils réalisent grandeur nature à la main, sans aucun outil particulier.

Notes

[1Yona Friedman, ibid.

[2Pierre Bernard, « Le chantier », in Criticat n°2, septembre 2008