Economie, Vie professionnelle et Expérimentation d’une limite

Albert HASSAN

Economie

Un projet autoconstruit de manière autonome nécessite du temps. Soit il correspond à un habitat subi, l’autoconstruction constituant la seule alternative à un habitat indigne. Si tel est le cas, l’habitant n’a de toute façon qu’un maigre rôle à jouer dans l’économie de la construction, et sa démarche n’est que naturelle. En revanche, s’il est déjà stigmatisé par la difficulté à s’insérer dans le monde du travail habituel, gageons que plusieurs années de labeur n’aideront pas à son insertion économique. Dans le cas d’un chantier court comme une autoréhabilitation, l’inverse est plus probable, et le fait de renouer avec une activité économique peut aider à la réinsertion de l’habitant.

Un projet choisi correspond à un changement radical de vie fondé sur la conception-construction- emménagement. Les années de délai entre le début de la conception et la fin de la construction empêchent de profiter de ses congés, voire même de travailler en parallèle. Qui sont donc ces autoconstructeurs qui semblent court-circuiter la logique économique du travail, et de l’échange monétaire pour obtenir leur habitat ?

Les Castors étaient rémunérés indirectement de leur travail : la valeur de leur maison était établie selon un calcul qui prenait en compte leur apport-travail (rapporté au SMIC) et la valeur des matériaux. Consacrer des centaines d’heures à la construction de leur pavillon ou de leur immeuble collectif leur apportait donc la possession d’un nouveau bien, dont la valeur était liée directement au temps qu’ils y avaient passé.

Vie professionnelle

Dans bien des cas, le nouvel habitat est indissociable du travail professionnel. Réaliser des sites Internet consacrés à l’auto construction est devenu le travail de Bruno Caillard, il constitue une maigre source de revenus pour Laurent Joëts. Quant à Jean-Louis Vacher, son projet auto construit n’est évidemment pas une fin en soi, puisqu’il consacre la réalisation d’un gîte rural et de l’installation d’une AMAP sur sa propriété. De même, Monique et Yannic attendent de la rénovation d’une grange agricole corrézienne qu’ils ont acquise récemment l’établissement d’un gîte. Dans un autre registre, Gilles Clément m’expliquait les déboires du contrôleur des impôts au moment de faire la part entre le personnel et le professionnel dans le terrain de la Vallée. Les expériences qu’il y mène sont intimement liées aux théories qu’il avance : sa théorie du jardin en mouvement est par exemple tirée de l’évolution des berces dans son jardin.

Les Castors se spécialisaient dans un corps de métier particulier. Ils se disaient peintre, chauffagiste, etc., sans exercer pour autant leur spécialité de manière rémunérée. Il n’empêche que leur spécialisation correspondait à l’apprentissage d’un nouveau métier. Pour non rémunéré qu’il était, il permettait néanmoins de s’attirer les services d’autres Castors : en échange de l’aide d’un « électricien », le Castor viendra quand il le faudra aider l’électricien dans une tâche qu’il maîtrise mieux que ce dernier.

Dans le projet d’Ablon-sur-Seine raconté par Maurice Vilandrau, chaque Castor paie 3 000 anciens francs chaque mois, et la somme récoltée est répartie à la fin du chantier entre tous en fonction de l’apport-travail de chacun. Le projet autoconstruit est ici rémunéré, et n’est donc juridiquement pas dissociable d’une activité professionnelle.

Expérimentation d’une limite

L’autoconstructeur, lorsqu’il choisit de réaliser lui-même son habitat, expérimente au cours du chantier la limite – non simplement financière – de sa démarche. Julien Beller ne pouvait accéder au terrain de sa future maison que par une porte, l’obligeant à employer des techniques de construction adaptées au transport manuel. Gilles Clément a été de même contraint aux capacités de transport de sa seule petite voiture. Marine, enceinte de surcroît, s’est inventé sa propre méthode pour l’application d’enduits, incapable de répéter les mêmes gestes qu’un ami maîtrisant la technique lui enseignait. La majorité a fait réaliser le gros œuvre par des professionnels pour accélérer la réalisation de la maison, et au moins en ce qui concerne la charpente a reculé devant son manque de qualifications.

Dans les groupes de Castors ayant réalisé des immeubles, on ne fait pas non plus le gros œuvre soi- même. Les membres du groupe servent plutôt de manœuvres à l’entreprise. Dans le projet d’Ablon, c’est ainsi que la main d’œuvre professionnelle a représenté plus de 25% du coût global de la construction, autant que l’apport-travail des auto constructeurs. A Thiais, un homme meurt après un glissement de terrain dans le déblai des fondations. De plus, les matériaux sont montés à dos d’homme, dans ce cas ils représentent 8000 sacs de ciment de 50 kg, 25 tonnes de plâtre, 23 tonnes de fer à béton, 15 000 tuiles, etc. Cela amène à penser que sans la main d’œuvre professionnelle, l’aventure Castor était sinon impossible, du moins trop étendue dans le temps [1].

Notes

[1Maurice Vilandrau, ibid.