Perception de l’architecte, Insertion La transmission de la (des) connaissance (s)

Albert HASSAN

Perception de l’architecte

L’autoconstruction autonome est majoritairement conçue et réalisée sans architecte. C’est en particulier le cas de la construction individuelle de maisons. Tout au plus, à la manière de Bruno Caillard, a-t-on besoin de faire signer le permis de construire par un professionnel. Pour Laurent et Marine Joëts, la question ne s’est même pas posée. Après, par rapport à une démarche d’architecte, on aurait pu aussi, mais on n’a jamais fait le test, on s’est toujours dit qu’aller voir un architecte, c’était pour quelqu’un qui avait beaucoup d’argent. Je crois que ça ne nous est même pas venu à l’idée d’aller voir un architecte. Certains se demandent si la banalisation et la démocratisation de l’information, notamment via Internet, peuvent amener à une substitution du travail de l’architecte [1].

A une époque plus ancienne, les Castors qui construisent collectivement redoutaient le recours à un architecte. Michel Anselme membre de l’association « l’Entente Communautaire » nous met en garde contre les architectes du moment. Certains pourraient faire de notre chantier une expérience à leur profit !, raconte Maurice Vilandrau. Louis, militaire algérien appelé en France en 1944, ne voyait pas l’utilité d’un architecte. Il a alors récupéré le plan d’un pavillon récemment construit et a demandé de l’agrandir d’un mètre au géomètre qu’il avait employé.

Au contraire, Ross Russell, le mathématicien qui a construit et dessiné la « Sliding House » assisté par dRMM, a vu immédiatement l’intérêt qu’il trouverait à employer un architecte pour l’aider dans la conception de sa maison. Il souhaitait un abri où pouvoir faire pousser de la nourriture, profiter de son temps et apprécier le paysage. Autant il s’est senti capable d’affronter l’énorme obstacle que constitue la réalisation d’un toit lourd et coulissant, autant il a deviné que l’intervention d’un architecte donnerait un meilleur résultat à ses aspirations, tout en s’assurant que la conception lui conviendrait, capable qu’il était de lire un plan.

Le fait de savoir lire sur plan n’est pas une évidence. Le déchiffrer pour deviner l’organisation globale des circulations, la taille des pièces, est une chose qui requiert de la concentration, mais être capable de traduire en espace un plan en est une autre. Le langage de l’architecte n’est donc pas accessible à tous, encore moins la coupe que le plan. Il diffère donc de celui de l’habitant, et cette incompréhension crée des difficultés insurmontables d’après Yona Friedman. La solution est selon lui l’autoplanification, qui correspond à la participation active de l’habitant dans la conception de sa maison. [2]

Insertion

La volonté d’indépendance de l’autoconstructeur autonome n’est pas nécessairement synonyme de reclus de toute vie sociale. Bien au contraire le plus souvent, les autoconstructeurs adressent dans leurs livres ou sur leur site Internet leurs remerciements à tous ceux qui les ont aidés. Leur site Internet a servi à Marine et Laurent et à une famille qui réhabilite une chapelle en maison individuelle [3] à tenir la famille et les amis au courant des évolutions du chantier, et certaines actualités qu’ils ajoutent servent à sonder au préalable leurs relations pour savoir qui souhaiterait prendre part à tels ou tels autres travaux.
Le chantier participatif est développé en France principalement autour de la construction en paille. Des sites recensent les propositions et demandes d’aide, par exemple le site des Compaillons [4]. La volonté d’autonomie va de pair avec l’insertion dans une communauté, dans ce cas celle assez restreinte mais totalement ouverte des auto constructeurs de maisons de paille.
Les Castors se regroupaient à l’origine en petites communautés possédant des aspirations communes d’obtention d’un logement digne. Ils s’inséraient dans le groupe à travers l’engagement à respecter un certain nombre de principes, notamment à verser une cotisation annuelle durant la construction du lotissement, à faire un minimum de 600 heures annuelles de travail, de se fournir en matériaux auprès d’une coopérative recommandée par l’association… En échange de quoi ils bénéficiaient d’une sorte de label qui leurs conférait une aide au logement.

Les conclusions du PADES vont dans le même sens. L’autonomie dont je parle dans ce chapitre n’est pas complète, elle se démarque du système habituel de production de logements. Ainsi, à condition d’être correctement accompagnée, l’auto production est une démarche qui favorise la civilité et l’entraide. Pour notre part nous considérons, avec bien des acteurs de l’insertion par l’activité économique, que l’auto production accompagnée favorise l’insertion sociale de personnes en difficulté [5]. Ou encore : c’est parce que l’auto production favorise une consolidation de la sphère privée qu’elle permet une initiation à la sphère publique [6]. Auto réhabilitation implique insertion par l’activité économique (non monétaire).

L’auto construction autonome correspond à l’avènement d’un nouveau projet de vie. Sans aller jusqu’à vouloir fonder une communauté à l’écart du monde comme Auroville en Inde ou Nueva Germania au Paraguay [7], l’auto constructeur possède la volonté de sortir du système économique habituel de la construction. Certains d’entre eux, comme Marine Bourgeois-Joëts ou Maurice Vilandrau, auraient même rêvé d’une vie en communauté où tout serait partagé.

La transmission de la (des) connaissance(s)

Le projet d’autoconstruction ne vient pas nécessairement couronner la connaissance préalable de cette discipline, encore moins son activité professionnelle. Nombreux sont ceux qui n’avaient qu’une connaissance du bricolage, de semblants de plomberie et d’électricité, mais qui étaient loin de posséder une vision d’ensemble ou une expérience réelle de la construction neuve. Comment alors ne pas prendre peur devant le manque de connaissance de ces gens ? Comment font-ils pour lever une structure lourde contreventée capable de soutenir leur poids aussi bien que les anéantir si elle venait à s’écrouler, et pour s’assurer de sa bonne tenue dans le temps ? Comment pallient-ils l’apprentissage de plusieurs années que fait un professionnel de la construction avant de se sentir indépendant ?

La maison Dom-Ino de Le Corbusier aide à entrevoir la réponse à ces questions. C’est une simple structure rectangulaire en béton armé pourvue d’un escalier. Celle-ci est contreventée, hors d’eau. C’est l’abri de l’homme primitif de Joseph Rykwert, poussé aux dimensions d’un habitat moderne. L’habitant n’a plus qu’à se charger du remplissage de cette structure, moment certes essentiel de la construction mais faisant appel à moins de machines lourdes ou de technicité spécifique que la structure elle-même. La structure porteuse de la maison de Bruno Caillard, de celle de Laurent et Marine Joëts, de nombreux projets de Castors (qui servent alors de manœuvres) est réalisée par des professionnels. L’autoconstructeur s’affranchit d’un apprentissage lourd (maîtrise de la machine, des assemblages et techniques de contreventement…) et d’une mise en œuvre risquée.

Alors il ne lui reste plus qu’à se documenter sur le second œuvre. La Confédération Nationale des Castors avait pour but de mettre en relation des Castors chevronnés avec d’autres moins expérimentés. Ils se spécialisaient dans un corps de métier et s’entraidaient, chacun développait une spécificité dont il faisait profiter les autres. Gilles Clément a tout appris dans des livres trouvés à la librairie Alternatives dans le quartier des Halles, à Paris. Ross Russell a acquis des capacités de mise en œuvre dignes de n’importe quelle entreprise de construction. Laurent et Marine ont tout appris sur Internet. Ils disent même avoir réalisé une maison Google. La multiplication des sites consacrés à l’autoconstruction ou des livres organisés en manuel retraçant la réalisation d’un projet rend plus accessible l’information. Le site de Bruno Caillard est même sa première source de revenus.

On peut toutefois se demander si, à l’instar de Wikipedia qui devient fiable à force de fréquentations et précisions de l’information, ces sites ne sont pas dangereux en cela qu’ils véhiculent une information parfois erronée, dont seule l’expérience permettra d’en confirmer le bien-fondé ou non pour des autoconstructeurs non professionnels. C’est ainsi que Bruno Caillard a mis en œuvre ce qu’on appelle un isolant mince, une sorte de couverture de survie, dont le fournisseur vend la capacité à réfléchir le rayonnement et donc à maintenir la chaleur à l’intérieur. Le rayonnement du revêtement intérieur vers l’extérieur de la maison est en général très faible. Le prix de l’isolant mince qui ne peut remplacer un isolant traditionnel me semble prohibitif devant ce qu’il apporte au confort thermique de l’habitant. Laurent et Marine Joëts ne savaient pas dans quel sens placer le drain. Les fentes dans le tube devaient-elles se trouver vers le haut ou vers le bas ? Ils les ont orientées vers le bas. Ces deux erreurs ne sont pas fatales, mais elles dénotent un manque de connaissances de leurs auteurs. Elles ne proviennent pas pour autant d’un manque d’informations, qu’ils ont cherchées avec sérieux, et qui auraient pu être réalisées par des professionnels, comme le démontre le fait que Laurent et Marine ont réalisé un sondage chez des professionnels, auquel ils ont eu autant de réponses pour la bonne que pour la mauvaise configuration du drain.

Laurent et Marine ont pris goût au métier lors de stages de taille de pierre qu’ils ont réalisés plusieurs étés consécutifs. Les chantiers participatifs jouent un rôle intéressant pour permettre un apprentissage sérieux de méthodes de construction. Par leur année de woofing, mot anglais désignant le chantier participatif, plus répandu dans les pays anglo-saxons qu’en France, Monique Frösch et Yannic Dekking ont appris tout ce qui relève du second œuvre. Elle a de plus reçu une formation d’architecte dont elle ne fait guère cas dans l’apprentissage de la construction proprement dite.

L’autoconstructeur, de par son indépendance vis-à-vis du monde professionnel de la construction, se met dans une situation à risque : il peut commettre des erreurs s’il n’est pas suffisamment bien informé. Il est difficile de chercher la juste information, mais on constate que les gens que j’ai interviewés se sont tous sérieusement documentés, voire même ont posé des questions directement à des professionnels qui les ont induits en erreur. L’enquête réalisée par Nicolas Jounin dans le monde du bâtiment amène à mesurer son propos concernant la faible qualification de l’autoconstructeur : il est parvenu à se faire une place et à obtenir une qualification sans la moindre connaissance préalable du bâtiment et donc sans la possibilité de prendre conscience de ses erreurs, selon lui moins par sa compétence que grâce à sa couleur de peau et sa nationalité française [8]. Pierre Bernard considère quant à lui que l’ouvrier est dans une « gestuelle déqualifiée » [9]

Notes

[1Ratia Rabemananoro, ibid

[2Yona Friedman, L’architecture de survie, Paris, L’éclat, 2003

[5PADES, ibid

[6Daniel Cérézuelle, ibid.

[7François Musseau, « Les Allemands perdus du Paraguay », in XXI, juillet/août/septembre 2010

[8Nicolas Jounin, Chantier interdit au public, Paris, La Découverte, 2008

[9Le travail du chantier demande en effet toujours une implication physique du travailleur, de la dextérité, quelquefois de l’habileté et souvent de la force. Le poids d’un bâtiment est porté une fois et demie à deux fois à dos d’homme, bien que les engins de levage soient les plus mécanisés. C’est tout le corps de l’ouvrier qui est impliqué physiquement, et pas seulement à la main. Qui plus est, ce corps est dans une « gestuelle » déqualifiée. Pierre Bernard, « Le chantier », in Criticat n°2, septembre 2008