Droit, Règlements, Economie ; La petite et la grande échelle

Albert HASSAN

Droit, règlements

Tout citoyen situé sur le territoire français se doit de respecter un certain nombre de règles, qui dans le cas d’une construction autonome peuvent constituer de véritables obstacles. On l’a vu, l’emploi de matériaux de réemploi est le plus souvent réalisé par des gens isolés, ne se soumettant pas à la norme qui leur interdirait certains matériaux.

Le permis de construire pose ainsi bien souvent des problèmes insurmontables. Maurice Vilandrau et ses camarades Castors ont obtenu ce document officiel sept mois après le début des travaux. Les Castors d’Angoulême ont attendu au total deux ans. Louis, né en 1944, construit un petit pavillon provisoire qu’il s’engage à démolir après la fin de la construction. José, né en 1941, a vu la mairie exiger qu’il détruise un petit pavillon qu’il possédait à l’arrière de son terrain dès la fin des travaux. Il a rusé en le reclassant en dépendance, et en le rendant habitable seulement plusieurs années après. Gilles Clément a commencé à élever sa maison avant la réponse définitive de la mairie, excédé du retard que prenait la régularisation de la question de l’électricité.

Après la guerre, quelques publications officielles ont au contraire favorisé le recours à l’auto construction : c’est le cas de la circulaire n°46 bis de la Sécurité Sociale du 4 mars 1949 : par contre, à titre exceptionnel, les CAF pourraient accorder leurs aides sous forme de prêts à des groupements coopératifs d’auto construction fondés sur le principe de l’apport-travail de ceux qui veulent devenir copropriétaires.

Bruno Caillard s’étonne de l’obligation d’obtenir une garantie décennale pour un logement qu’on a soi-même construit. L’assurance dommage-ouvrage, la mieux adaptée à la démarche de l’auto constructeur, est quant à elle refusée par 90% des assureurs [1]. En revanche, il apprécierait que soit rendue obligatoire l’étude de sol, que Marine et Laurent ne regrettent pas, puisqu’elle a modifié le dessin des fondations.

Une proposition de loi sur l’habitat groupé du 21 octobre 2009 rend compte du retard juridique concernant le logement, et souhaite dans son titre III adopter des dispositions relatives à la reconnaissance du statut de l’habitat mobile, diversifié et écologique. Julien Beller côtoie dans son travail des populations dont l’habitat n’est pas légalement reconnu :
Un problème en France c’est la reconnaissance de l’habitat. Ici les gens ont besoin pour avoir des prestations sociales, la sécu, un téléphone portable, ils ont besoin d’une adresse, d’un habitat pour avoir un compte en banque. Ça c’est une difficulté pour l’autoconstruction pour ces populations, qu’elles soient Roms, précaires, en périphérie des grandes villes, ou qu’elles soient néo-bab, à habiter dans le Larzac, cette reconnaissance de l’habitat pose de vrais problèmes. J’ai pas mal bossé avec les gens du voyage qui vivent en caravane, la caravane n’est pas reconnue comme un logement, du coup tu n’as pas d’allocations logement, tu as toutes les difficultés. C’est un problème légal actuel, mais qui est vraiment important et qui freine l’autoconstruction. Il y a pas mal de gens, je reprends l’exemple de la yourte, parce que c’est un peu constant qu’il y a des gens qui aimeraient habiter en yourte, et pourtant il y en a plein qui ne le font pas, parce que c’est pas considéré comme de l’habitat, ça n’est pas faisable en dehors de l’autoconstruction.

La proposition de loi montre la volonté de certains faiseurs de loi de répondre à cette composante problématique. Elle souhaite ajouter un article L 632-4 au code de l’urbanisme dont l’enjeu est le suivant :
De nombreux obstacles juridiques les empêchent de développer de nouveaux types d’habitats avec des matériaux naturels qui permettent une réduction de l’empreinte écologique. Il s’agit de reconnaître comme résidence principale, l’habitat mobile installé sur des propriétés et de donner ainsi un statut de résident et les droits y afférent aux personnes qui y résident en permanence. [2]

Economie

La faible propension de l’acteur public à encourager une autoconstruction autonome dans les limites du droit, ou à adapter directement les lois et règlements, s’explique certainement par le fait que l’économie non-monétaire n’est pas ou très peu prise en compte dans la conception globale de la société.

Le progrès social continue d’être associé à l’augmentation du revenu monétaire au niveau individuel et à l’augmentation du PIB au niveau collectif. Il faudrait changer de perspective et s’interroger sur la question de savoir quel est le meilleur équilibre entre économie monétaire et non monétaire, entre les activités rémunérées et celles qui ne le sont pas. Il faudrait reconnaître qu’à revenu monétaire égal, celui qui peut améliorer lui-même son logement fait des économies très importantes. (…) Dans le calcul économique, le travail est considéré comme une désutilité compensée par une rémunération, qui permet la consommation.

A l’échelle globale à laquelle l’acteur public intervient, on considère que la société et l’économie progressent à travers l’échange commercial, et on élude l’inadéquation bien connue de la production à la demande dans une économie purement concurrentielle. Ainsi, on compare un logement fini à un autre logement fini en fonction de critères purement statistiques et on oublie la dimension psychologique du logement, certainement sous-estimée à entendre par exemple les sinistrés de la tempête Xynthia qui regrettent pour beaucoup la disparition d’une maison à laquelle ils tenaient, un héritage familial le plus souvent. Pourtant, la plus-value qu’apporte le fait de se sentir bien chez soi, et de pouvoir adapter son logement à l’évolution de ses besoins, n’est jamais étudiée.

La petite et la grande échelles

L’autoconstruction autonome, pour intéressante qu’elle soit, et malgré tous les enseignements qu’elle nous apporte, semble vouée à jouer un rôle mineur dans la résorption de problèmes de logements à l’échelle nationale. Le mal-logement sévit chez plus de 6 millions de personnes, et on voit mal un dixième de la population française se lancer dès aujourd’hui dans un tel projet.

A Perpignan, l’action menée par le PADES en faveur de l’autoréhabilitation a permis la réalisation de quarante-trois chantiers en trois ans. Ils ont duré de trois semaines à six mois, les différences correspondant à un choix délibéré d’adapter le rythme des travaux pour remplir les objectifs sociaux visés. L’UCPTRP (Union des Castors des Professions des Transports de la Région Parisienne) a mené à bien 55 chantiers collectifs, soit la construction de 1396 logements. De nos jours, les Castors agissent individuellement, et leur impact est moindre que lors de leur création. Mais Maurice Vilandrau a assisté à un séminaire à Paris en 2001, intitulé « Vers de nouvelles approches de la question du logement social grâce aux champs explorés par l’économie sociale et solidaire », qui conclut notamment la nécessité de susciter davantage la participation des citoyens à leurs projets de vie. Le « castorat » constitue, dans le domaine de la construction (ou de la réhabilitation), un exemple intéressant encourageant la participation active des constructeurs.

Notes

[1Pierre-Gilles Bellin, L’auto-éco-construction, Paris, Eyrolles, 2009

[2Proposition de loi pour un tiers secteur de l’habitat participatif, diversifié et écologique, Assemblée Nationale, 21/10/2009