Vie professionnelle, Economie Gestion publique

Albert HASSAN

Vie professionnelle

L’autoconstruction autonome et l’autopromotion ont pris acte de l’incapacité de la construction capitaliste à leur fournir les conditions d’un habitat individualisé, à leur image. L’architecture totale construit elle-même, pour expérimenter ou réaliser une construction inhabituelle, convaincue qu’aucun entrepreneur ne prendra la responsabilité de participer à son projet peu orthodoxe. L’autoconstruction formalisée précise ces critiques quant à la qualité de la construction, liée au manque de relations entre usager et professionnels.

Yona Friedman propose de modifier en profondeur la vie professionnelle de la société, en incluant l’obligation de réaliser des jours de service non payé pour tous les citoyens. C’est ainsi que le médecin tout autant que le chômeur, l’ouvrier, l’artisan, doivent contribuer à l’aménagement de leur quartier. Pourquoi l’architecte prône-t-il une telle mesure ? La lecture de Fukuyama caractérise les raisons de la crise de la confiance apparue dans le monde occidentalisé ; nous vivons dans une société dont les acteurs ne peuvent s’identifier les uns les autres. Ils disparaissent ainsi du groupe et radicalisent leur condition d’individus. L’économiste propose d’y remédier par la réduction du cercle de confiance. D’un côté la population désire s’affranchir des restrictions imposées par l’autorité politique ou morale qui met en cause le libre arbitre, d’un autre elle souhaite exacerber un sens de la communauté dans laquelle participer et s’identifier.

Chaque communauté partage moins avec ses voisines et celles auxquelles on appartient ont relativement peu d’envergure. Le cercle des gens auxquels on peut se fier est nécessairement plus étroit. L’essence du changement dans les valeurs qui est au centre du grand bouleversement réside donc dans l’expansion de l’individualisme moral, avec la miniaturisation de la communauté qu’elle entraîne [1] .

En réaction, Yona Friedman propose la réorganisation des villes et de la société en villages urbains indépendants, ou bidonvillages. La société se comporte mieux en groupe restreint, dont la taille est inférieure à la critique à partir de laquelle le groupe ne peut plus s’identifier. L’architecte propose donc de renforcer le lien dans le groupe à travers la participation de chacun à la vie sociale du groupe, sans considération pour leur statut social.

Le contribuant (« contribuant » est un terme plus exact que « contribuable ») préférera souvent travailler pour son propre quartier, et le fait même qu’il soit connu de ses voisins représentera une sorte de contrôle public sur sa contribution [2]

A la fin du vingtième siècle, le constat est le même, mais le remède a montré être trop radical pour être appliqué comme tel, et la situation est différente : au lieu du plein emploi mais de la pénurie de logements comme au temps des Castors se trouve-t-on dans une situation de temps libre propice à l’amélioration de l’habitat. Parallèlement à une participation accrue de l’usager à la conception- construction d’un bâtiment, les architectes réinventant l’autoconstruction formalisée décident de mettre en place une relation particulière à l’ouvrier. Ils souhaitent revaloriser son travail, en lui montrant qu’il est un élément-clé de la construction d’un bâtiment, non de sa simple édification, mais du fait que son savoir-faire est mis à contribution dans la liberté qui lui est laissée pour choisir son assemblage, mettre en place son propre dispositif constructif adapté aux exigences du maître d’œuvre…

Economie

L’autoconstruction fait partie du champ de l’économie non monétaire. On pourrait croire qu’elle est largement minoritaire devant l’économie non monétaire. Ce serait une analyse rapide de la situation en France. Alain Degenne montre qu’en 1975, 43 milliards d’heures de travail domestique ont été effectuées par les Français contre 35 milliards d’heures de travail professionnel [3]. La valeur monétaire de ce travail représente selon les différentes estimations entre 40 et 70% de notre PIB (produit intérieur brut). Dans le champ de la construction, une analyse du CERPEAU à Denain, banlieue ouvrière traditionnelle du Nord, a permis d’établir qu’entre 50 et 90% des travaux de réhabilitation du logement étaient dus à de l’autoréhabilitation en 1979 [4]. Sur la longue durée, il y a eu réduction de l’autoproduction et progrès de l’économie des échanges monétaires. Depuis quelques années on ne sait plus très bien, nous raconte Daniel Cérézuelle. Les pratiques de rénovation proviennent directement de l’action des habitants, malgré ce qu’on pourrait croire en première analyse. Le PADES, et les architectes de l’autoconstruction formalisée, tentent de donner à ce facteur économique non négligeable une place dans la réalisation de l’architecture et un véritable impact médiatique. Ils rejettent la critique de ceux qui leur affirment qu’argent et temps sont deux ressources substituables.

Gestion publique

Patrick Bouchain a travaillé longtemps dans le monde politique, au cabinet de Jack Lang ministre de la Culture puis maire de Blois. Il tire de son expérience politique le constat que dans la société bureaucratique s’établissent les règles d’une société démocratique. Dans le cadre de la démocratie participative, fais- en l’expérience, ce sont toujours des plaintes, m’explique-t-il. Il faut réclamer un faire au représentant, lequel répond à ce désir par un acte.

Le rôle du Conseil d’Etat est d’encadrer l’élaboration du droit, avant la rédaction de la loi en donnant son avis sur l’état du droit, après la rédaction de tout projet ou proposition de loi pour en juger du caractère conforme aux règles déjà en place. Il oriente donc par son avis la politique française des sujets qu’il aborde. En ce qui concerne le logement, le rapport écrit en juin 2009 établit les conclusions suivantes sur l’autoconstruction et l’autoréhabilitation [5] :

  • La politique du logement s’étant longtemps focalisée sur l’offre et sur la quantité de logements neufs produits chaque année, elle sous-estime l’importance de l’entretien et de la gestion quotidienne du logement et le rôle à cet égard des variables non monétaires.
  • Limitées à une approche technicienne, économique et financière du logement, les politiques publiques – nationale ou locales – en la matière ne se sont jamais hissées au niveau d’une politique de l’habitat et n’abordent pas la question des interactions entre le logement et son environnement urbain ou entre ses occupants et leur voisinage.
  • Cet accompagnement [à l’autoréhabilitation] n’a jamais été véritablement considéré comme important, (…) ce qui relève d’un calcul à courte vue puisque les opérations de rénovation urbaine des années 2010 coûtent dix fois plus cher que celles menées dans les années 1980.
  • l’autoconstruction et l’autoréhabilitation sont des formules peu coûteuses pour la collectivité en s’appuyant sur la mobilisation gratuite de l’activité des habitants et sur un encadrement associatif.

Notes

[1Francis Fukuyama, Le Grand Bouleversement, Paris, La Table ronde, 2003

[2Yona Friedman, ibid.

[3Alain Degenne et al., « La production domestique atténue-t-elle la pauvreté ? », in Economie et statistique, N°308-310, Octobre 1998

[4Duparc, J. B. et Gayraud S., « Pratiques d’autoréhabiliation et conséquences sur le mode d’intervention de la puissance publique », l’exemple de Denain Centre ancien, CERPEAU, Mars 1979

[5Conseil d’Etat, Droit au logement, Droit du logement, La Documentation Française, juin 2009