Définition

Albert HASSAN

On se contenterait alors d’étudier l’autoconstruction autonome de maisons individuelles. Au contraire, elle se décline en une série de pratiques diverses dans les moyens employés, mais se rejoignant dans les problématiques qu’elles cherchent à résoudre, précarité, expérimentation, besoin d’appropriation de son logement… Elle n’est pas qu’une source d’inspiration pour des romans [1] ou l’apanage d’originaux tels que le facteur Cheval. Le terme autoconstruction désignera l’ensemble des pratiques de participation active à une ou plusieurs phases du processus global de construction, c’est-à-dire à la réalisation d’un programme, la conception architecturale, le remplacement d’un acteur de la construction, la participation plus ou moins partielle à l’érection du bâtiment. Il regroupe différentes pratiques que j’ai classées de la manière suivante :

  • Autoconstruction autonome
  • Autopromotion
  • Architecture totale
  • Autoconstruction formalisée
  • Assistance à une autoconstruction (dans les pays pauvres)

1. Autoconstruction autonome
L’autoconstruction autonome est ce qu’on entend le plus communément par autoconstruction. Elle concerne celui qui fait sa maison, individuelle le plus souvent, que ce soit un professionnel de la construction ou non. C’est celle du Castor par exemple, qui court-circuite le fonctionnement bailleur-promoteur. Il participe activement à la construction, voire la réalise entièrement seul et avec des amis, la conçoit ou non.

2. Autopromotion
L’autopromotion est la suppression du promoteur, remplacé par les futurs propriétaires eux-mêmes, qui mettent en place une structure commune à tous pour pallier les obstacles réglementaires à leur souhait de mise en commun partielle de leur habitat.

3. Architecture totale
J’ai choisi exprès ce terme, qui me semble adapté à ce domaine de l’autoconstruction. C’est celle où le concepteur et le constructeur sont confondus. Devant le malaise qu’éprouvent certains architectes devant le fonctionnement habituel de leur profession, ils choisissent de réaliser eux-mêmes ce qu’ils dessinent, et en cela renouent avec l’implication du concepteur dans la réalisation (perdue chez de nombreux architectes qui sous-traitent la phase chantier, ou qui omettent de considérer l’habitant). C’est aussi le domaine des collectifs d’architectes proches de la performance artistique.

4. Autoconstruction formalisée
On peut se demander l’impact que représentent les trois premiers types d’autoconstruction sur la construction en général, et se soucier de la faible échelle de tous les projets concernés. Des architectes tels que Patrick Bouchain et Yona Friedman, un paysagiste comme Gilles Clément qui pose dans son domaine des enjeux liés à l’autoconstruction, travaillent sur de plus grandes échelles, sur des aménagements et constructions à plus fort retentissement et permettent d’envisager d’une manière moins contradictoire le rapport entre autoconstruction et construction capitaliste, qui ne sont réellement en concurrence que dans ce que j’appelle l’autoconstruction formalisée, c’est-à-dire dans la commande établissant une relation client-concepteur proche de l’habituelle.

5. Assistance à une autoconstruction (dans les pays pauvres)
L’autoconstruction a longtemps été en Occident la forme la plus courante de construction, mais son déclin a commencé à la révolution industrielle. En revanche, dans les pays pauvres [2] , elle reste la composante majeure de la construction, et son actualité brûlante en fait un sujet d’étude à part des autres formes d’autoconstruction ; sa problématique est différente mais beaucoup de facteurs se rejoignent avec ces dernières. J’ai décidé de traiter ce type d’autoconstruction à part, car à mon avis il n’y a pas d’alternative à lui poser, à l’inverse de celui des pays riches.

L’autoconstruction concerne avant tout le logement, pour différentes raisons, parmi lesquelles la plus évidente est que les utilisateurs prennent plus facilement part à la construction et dans une moindre mesure à la conception d’un bâtiment s’ils en auront un usage individuel. Les exemples que je prendrai dans mon mémoire concerneront donc très majoritairement l’habitat.
Nous traversons, tant en France et dans de nombreux pays riches que dans les pays pauvres, une crise du logement. En France, le droit au logement est opposable depuis 2007. Il n’empêche que la fondation Abbé Pierre compte en 2010 3,5 millions de mal-logés, 2 millions de personnes dans des conditions de logement très difficiles, 6,6 millions de personnes en situation de réelle fragilité [3].

Daniel Cérézuelle voit actuellement une crise du savoir habiter [4] , qui laisse entrevoir l’enjeu de l’autoconstruction dans l’habitat contemporain :
Par « savoir habiter » nous entendons la capacité à la fois pratique et psychologique à utiliser et entretenir son logement, à se l’approprier, à maîtriser les diverses interactions sociales, techniques, symboliques, économiques, qui accompagnent le fait de vivre dans un logement, de l’entretenir, et pas seulement d’occuper des mètres carrés.

Dans les pays pauvres, les bidonvilles ne cessent de s’agrandir, et ce plus rapidement que le reste des villes. Mike Davis cite un chercheur de l’Organisation Internationale du Travail (OIT) qui estime que seulement 20% de la demande de logements par les nouveaux migrants urbains peut être satisfaite par le marché des logements sociaux standards [5].

En ces temps de crise du logement, l’autoconstruction concerne avant tout la petite échelle, mais comme on le verra tout au long de ce mémoire à travers des écrits et travaux divers issus de plusieurs disciplines, elle a son rôle à jouer dans la résolution à grande échelle de problèmes de logements, comme le revendiquent Patrick Bouchain en France, Hassan Fathy en Egypte, Yona Friedman dans l’ensemble du monde.

L’autoconstruction pose des problèmes et propose d’en résoudre d’autres. Dans un travail qui se veut exhaustif, j’ai jugé important de contraindre le propos à aborder les mêmes thèmes, et ce dans le même ordre, pour permettre d’établir des relations entre les différents types d’autoconstruction. Comme je l’ai noté précédemment, elle soulève selon moi un paradoxe dans le métier d’architecte, et remet en cause le fonctionnement d’une architecture soumise à une économie monétaire. Une première partie cherchera donc à établir les enjeux de l’autoconstruction dans l’architecture. La formation des écoles d’architecture en France, depuis leur fondation dans les années 1970, a évolué vers une moindre proportion de cours de sociologie et d’impact de l’architecture sur la société. Elle tend à éluder cette question dans le cursus de l’étudiant qui comme je l’ai expérimenté depuis le début de mes études voit ce problème comme annexe dans la conception architecturale. Il n’empêche que l’architecture a de toute évidence un effet sur les pratiques quotidiennes de ses utilisateurs. Une deuxième partie s’intéressera aux questions concernant l’autoconstruction et la société. L’autoconstruction modifie le processus habituel de la construction qui fait jouer à chacun un rôle prédéfini et encadré par le droit, et redéfinit le rôle de chacun. Une troisième partie étudiera les acteurs de l’autoconstruction et les liens qu’ils établissent.

A l’intérieur de chacun des types d’autoconstruction est étudié un enjeu qu’elle remet en cause par sa spécificité de laisser participer activement l’utilisateur d’un bâtiment à sa construction (dont la conception est incluse, la conception étant une partie intégrante et sine qua non de la construction). Des thèmes récurrents apparaîtront, qui selon les cas font partie d’un ou de l’autre enjeu que j’ai spécifiés ci-dessus. Ils donneront je l’espère à mon lecteur plus de clarté pour évaluer les problématiques diverses que j’aborde.

Notes

[1Carlos María Dominguez, La casa de papel, 2002

[2J’ai choisi à dessein le mot de pauvre, plutôt qu’en voie de développement, car il me semble plus à même de caractériser la particularité du citoyen d’un tel pays, qui ne possède pas l’infrastructure, le niveau d’éducation, l’accès à l’information, le cadre juridique, qui a une marge de manœuvre très marginale dans l’économie capitaliste, et pour lequel la rémunération de personnels qualifiés dans la construction est inenvisageable.

[3Fondation Abbé Pierre, L’état du mal-logement en France, 2010

[4Daniel Cérézuelle, Crise du « savoir habiter », exclusion sociale et accompagnement à l’autoréhabilitation du logement, 2007

[5Mike Davis, Le pire des mondes possibles, Paris, La Découverte, 2007

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