Histoire des Castors d’Ablon-sur-Seine

Ratia

Crise du logement d’après-guerre, comment des autoconstructeurs de la région parisienne ont relevé le défi.

L’une des conséquences de la Seconde Guerre Mondiale en France et dans plusieurs pays d’Europe est sans doute la crise du logement. La reconstruction se fait progressivement, mais les logements décents se font rares. La liste d’attente pour obtenir un logement social est complètement saturée. Pour la population issue du milieu populaire ainsi que pour les jeunes couples, la situation est désastreuse. Le recensement de 1946 indiquait que 20 % des logements n’avaient pas de poste d’eau à l’intérieur ; 77 % des logements ne disposaient ni d’une salle de bain ni d’un cabinet de toilette. Dans les 61 agglomérations de plus de 30 000 habitants recensées, 31 % des logements n’avaient ni l’eau ni l’électricité - ce dernier chiffre s’élevant à 80 % dans les communes rurales. Malgré l’absence de recensement précis, le nombre des logements insalubres peut être estimé à 280 000 au minimum, selon les enquêtes du M.R.U.(Ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme) S’ajoutant à cela la multiplication du phénomène de squattage, une solution d’urgence pour une population désespérée.

Les adhérents aux Castors d’Orly (futurs Castors d’Ablon)

C’est dans ce contexte que 6 jeunes orlysiens, décident de trouver une solution au problème de logement dans leur commune. Tenant un mensuel local appelé « Amitiés d’Orly », ils y publient des articles qui proposent « d’étudier concrètement les différents projets ou réalisations pratiques de constructions nouvelles » qui peuvent se présenter comme une solution ou même juste une ébauche de solution. Après plusieurs recherches, ils tombent sur l’expérience des « Castors de Pessac l’Alouette », un groupe de bordelais qui ont construit eux même leur maison d’une façon collective sur un même site. Cette trouvaille a immédiatement inspiré les jeunes rédacteurs orlysiens qui publient l’article « Les Orlysiens pourraient bâtir leur cité » au mois de mai 1950. Les réactions ne sont pas immédiates. C’est le 2 novembre 1950, que cinq jeunes hommes bien décidés se lancent dans l’aventure :

  • Jean Guéguen, 32 ans, marié, deux enfants, serrurier chez un artisan local.
  • Guy Allablanche, la trentaine, marié, un enfant, employé de bureau de poste d’Orly.
  • René Mennereau, 23 ans, marié, un enfant, électricien à l’EDF.
  • Jean Paupert, 22 ans, célibataire, futur marié quelques mois après, employé à la compagnie d’assurance l’Union.
  • Maurice Vilandrau, l’auteur du livre « L’étonnante aventure des Castors » publié en 2002, célibataire, également futur marié quelques mois après, dessinateur petites études chez Schneider à Paris. C’est lui qui a proposé les articles d’ « Amitiés d’Orly » à propos du problème de logement. Notons que ces jeunes gens ont tous fait partie de la J.O.C. (Jeunesse Ouvrière Chrétienne). Cette précision est importante car l’idée de bâtir une cité afin de créer une communauté de quartier fait partie de leurs convictions religieuses. Rappelons que la première opération Castor à Bordeaux est née de l’initiative d’un prêtre.

Avec l’idée qu’à cinq, il n’était ni souhaitable ni raisonnable de se lancer dans une opération d’une telle envergure, le premier objectif était d’augmenter l’effectif. Lors des réunions hebdomadaires, le nombre d’adhérents croît de manière significative : entre 1950 et 1956, il y a eu 57 postulants aux Castors d’Orly. On verra un peu plus tard, pourquoi seul 18 sont allés jusqu’au bout. Sur ces 57 postulants, 52,8% étaient ouvriers, 32,1% employés, 7,5% techniciens ou agents de maîtrise et 7,6% fonctionnaires. Les candidats avaient entre 22 et 45ans et la plupart des plus de 35 ans auront démissionné.
Parmi les candidats qui sont restés, peu avait une expérience directe avec le bâtiment. Lorsque l’effectif se stabilisera à 18, seulement 2 castors pratiquaient des métiers relativement proches du bâtiment : l’un était ébéniste, l’autre menuisier. Deux autres étaient dessinateurs mais spécialisés dans l’industrie ; ils ne dessineront pas les plans de leurs pavillons. Parmi les 18, on compte 7 venant d’Orly, 3 de Choisy-Le-Roi, 3 de Paris, 2 d’Ablon-sur-Seine, 2 de Paray-Vieille-Poste, et 1 d’Alfortville.

Le financement

Pour obtenir une existence légale l’association, loi 1901, « les Castors d’Orly » est créée le 27 janvier 1952, un peu plus d’un an après la première réunion. La circulaire ministérielle du 4 mars 1949, autorise, à titre exceptionnel, les Caisses d’Allocations Familiales à accorder des aides sous forme de prêts à des groupements coopératifs d’autoconstruction « Fondés sur le principe l’apport-travail de ceux qui veulent devenir copropriétaires lorsque ces groupements seront constitués par des allocataires ».

Le choix du site et déception collective

La majorité du groupe venant essentiellement d’Orly, le choix du site est surtout porté sur la ville d’Orly et ses environs. Un terrain à cheval entre Orly et Thiais intéresse fortement le groupe. Malheureusement, le 31 octobre 1952, soit un an après la découverte du site, ce dernier est déclassé pour l’urbanisation par le Ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme. En effet, l’aéroport d’Orly envisage une piste nouvelle pour la génération des avions à réaction qui vont rentrer en service.

La nouvelle assomme l’équipe. Cinq d’entre eux persévèrent et tentent de nouvelles démarches. Plus de la moitié démissionnent peu à peu par lassitude et par déception. Presque 2 ans ont été perdus, l’idée de recommencer à zéro décourage plus d’un.

A partir de l’annonce de cette triste nouvelle, la priorité devient la recherche de terrains. Certains sacrifiaient leurs temps de loisir et de repos pour trouver un site potentiel. Le 1er mars
1953, lors de la dernière réunion des « Castors d’Orly » 4 terrains sont identifiés : un sur Orly, un second sur Thiais, un troisième sur Champigny et un dernier sur Ablon. Les trois premiers sites présentaient des difficultés juridiques telles que des négociations compliquées, des propriétaires incertains… Cela a ramené à un vote massif pour le site d’Ablon. Ce dernier fait environ 6500 m² et sa particularité réside dans la raideur de la pente (environ 12%) et sa nature glaiseuse (près d’1m50 d’argile). Se présentant comme le dernier espoir et également par lassitude des combats juridiques, le choix fut bref malgré quelques perplexités. Le groupe va finalement se stabiliser à une vingtaine de candidats à l’été 1953, ce qui n’est pas plus mal car le terrain est moins grand que celui d’Orly.

Un nouveau départ

Juridiquement, l’équipe est contraint de dissoudre les « Castors d’Orly » car la seule solution qui leur reste pour le financement du projet, est celle d’emprunter au Crédit Foncier de France qui impose la constitution d’une société coopérative à capital variable. Le groupe passe donc du statut de simple association au statut d’entreprise qui se nommera « Mon Logis, les Castors d’Ablon » le 2 avril 1953. Cela facilitera l’embauche de professionnels qualifiés (au total 56 salariés se succèderont toutes catégories comprises, du chef de chantier au maçon et au manœuvre, sur une période de 30 mois) pour aider le groupe sur le chantier.

Ce dernier débute le 10 octobre 1953. Deux architectes Rolland et Prévert, ont été engagés depuis le début de l’aventure lorsque le groupe s’appelait encore les « Castors d’Orly » pour dessiner les plans des pavillons. Au départ, pour diminuer les frais de viabilité par personne, les architectes prévoyaient un immeuble collectif de deux étages avec quatre logements par niveau desservis par deux escaliers et 14 pavillons individuels. L’immeuble collectif ne correspondait pas aux attentes du groupe. Une seconde phase d’études a finalement opté pour 18 pavillons jumelés, avec quatre types de constructions selon la disposition par rapport au terrain et à la rue. Selon le désir de chacun, des pavillons de 4 ou 5 pièces ont été proposés. L’innovation n’est pas en reste même en autoconstruction. Sur les conseils des architectes, les Castors ont utilisé des techniques nouvelles pour l’époque, telles que la pose de parois double épaisseur ou le développement des planchers monoblocs qui n’existaient pas avant la guerre. L’acquisition du pavillon se fait par le système de l’ « apport-travail » : « Chaque Castor fournit 40 heures de travail par mois, et 120 heures pendant les congés payés, soit 600 heures par an ». Quant au choix du pavillon lui-même, à l’exception du président du groupe, la désignation se fait par tirage au sort. Le président aura le privilège de choisir son pavillon.

 [1]

Le 29 juillet 1956, chaque famille Castor commence à emménager dans leur nouveau pavillon pas encore totalement achevé : Il manque l’eau, l’électricité, le gaz, les écoulements, les portes, les papiers, les peintures… et les meubles ! A partir de ce moment, chacun à sa manière, s’appropriera son « chez-soi » de façon plus ou moins forte selon les familles. Mais dans l’ensemble, peu ont réellement modifié l’aménagement des pièces de leur maison.

Notes

[1-* Coût global de la construction et de la main d’œuvre salariée (déduction faite du prix du terrain pour 37 000 heures travaillées) : 48 400 000 F (soit 7 378 532,43 €)

  • Coût des 52 000 heures de main d’œuvre Castor (en estimant qu’une heure Castor valait 308 F) :
  • 16 000 000 F (soit 2 439 184,28€)
  • Coût théorique de la construction, main d’œuvre salariée 64 400 000 F (soit 9 817 716,71€)

On peut donc estimer que la main d’œuvre Castor a représenté 16 000 000 F = 25% du coût théorique de la construction